N’en avez-vous pas assez d’aller sur des sites ou de lire des ouvrages de convaincus, qui développent une seule vérité et ne répondent pas aux objections-types ?
On peut ainsi voir se déployer sans contradicteurs des avalanches d’arguments pro ou anti-OGM, pro ou anti-parapsychologie, pro ou anti-libéralisme, pro ou anti-« théories du complot », pro ou anti-réchauffement climatique, pro ou anti-immigration, pro ou anti-psychanalyse, et j’en passe. Sur ces sujets controversés, on trouvera la plupart du temps des sites et des livres orientés, au service d’un point de vue partiel.
Face à ce genre de démarche, un sentiment d’insatisfaction nous gagne ; on se demande ce que l’auteur aurait répondu à telle objection forte, pourquoi il ne l’a pas évoquée, etc. Ou bien, on peut être convaincu, et se sentir conforté dans une opinion qui nous tient à cœur, tout en sachant secrètement qu’elle n’a pas été vraiment mise à l’épreuve.
Il faut inventer d’autres lieux, où puissent se répondre – en terrain neutre – les différents points de vue possibles. Notons ici que le débat n’est qu’une PREMIERE ETAPE sur le chemin d’une démocratie participative. Ce débat n’a de sens que si les délibérations sur des questions brûlantes ont un rôle dans une décision finale. Il a aussi un rôle, différent, dans les controverses philosophiques essentielles.
Peut-on mettre sur le même plan, pour les besoins de la discussion, des scientifiques et des profanes, des militants et des chercheurs, ou encore les partisans de points de vue immoraux et des défenseurs de l’humanisme ?
Certaines personnes veulent, soit au nom de la morale, soit au nom de la science, disqualifier des interlocuteurs - jugés "farfelus", "dangereux", "extrémistes" - et leur refuser l’accès à un débat "citoyen" et sérieux. Les textes du présent site tendent à montrer qu’on ne peut exclure A PRIORI aucune approche ni aucun argument d’un débat. Ce n’est qu’A POSTERIORI, après la discussion, qu’une position peut être invalidée.
Une fois que cette volonté de confronter les différentes opinions s’affirme, les autres problèmes sont d’un ordre technique. La question est d’inventer une méthode de discussion, susceptible d’être largement admise. Cette méthode devrait exclure les risques de « prise de pouvoir » par un groupe visant à promouvoir son propre point de vue.
Où pourra se situer ce genre de débat ouvert et méthodique ? Internet offre à cet égard une aide précieuse. Mais trop de Forums consistent en un empilement désorganisé de messages, chacun s’exprimant dans une joyeuse anarchie où le bruit prime sur l’information.
Le socle du site hyperdebat.net constitue une déclaration d’intention, une réponse à un besoin dont nous avons perçu l’urgence.
« L’idée de notre club de débat méthodique continu part d’un constat quelque peu paradoxal. Alors que rien n’est plus commun que le fait de débattre, nous n’avons trouvé aucune méthode permettant :
– de dégager les grandes lignes d’un débat, ses différentes options et leurs logiques.
– d’éviter les redites
– de s’assurer que tout argument capable de faire avancer le débat est pris en compte, même s’il est ultra-minoritaire ou particulièrement contesté.
– de poursuivre un débat dans le temps sans avoir à le reprendre à chaque fois dès le début.
Or Internet est un outil qui offre des possibilités nouvelles à cet égard :
– conservation des données
– possibilité illimitée d’interventions dans le temps et l’espace
– possibilité de prendre connaissance de l’état d’avancement d’un problème et de ses principales articulations pour nourrir sa réflexion avant d’apporter sa contribution.
Pour répondre à ces besoins, nous nous proposons de mettre au point un outil de débat rigoureux, utilisant internet comme support non exclusif que nous appellerons l’hyperdébat. Il s’agit d’une méthode interactive, permettant d’organiser en continu une grande diversité d’informations (données de base, arguments etc.) en cherchant à conjuguer exhaustivité et bonne lisibilité.
L’hyperdébat est ouvert à toutes les opinions, dans le cadre des lois en vigueur, y compris à la discussion desdites lois. Il implique une « nétiquette » minimale : pas d’attaques personnelles….
Quand il aura fait les preuves de son efficacité l’hyperdébat aura un champ d’application extrêmement vaste : débats généraux - débats techniques ou d’aménagement du territoire, débats préparatoires à toute prise de décision… »
A terme, si un tel projet se développait, la consultation du débat méthodique deviendrait un « réflexe ». Le citoyen disposerait d’une vision globale sur les questions traitées, avec si possible une base de connaissances critiques, et des perspectives concrètes dans son existence et la société.
Car certains de ces débats, s’ils touchent à des controverses importantes (les grands choix énergétiques, le tracé du TGV dans telle ou telle région etc.), auront vocation à faire un état des lieux des solutions proposées et à influencer les décideurs.
Devant son écran, l’internaute-citoyen ne sera plus un simple consommateur d’expériences virtuelles, mais un décideur en conquête de sa vie et même en quête de l’évolution collective. C’est sans doute là une utopie, mais peut-on construire l’avenir sans projet idéal ? Une vision synthétique des grands problèmes philosophiques et sociaux de notre temps, englobant leurs diverses articulations et l’ensemble des réponses possibles, sera demain, pour toute démocratie, un outil indispensable.
Présentation technique de l’hyperdébat
Chaque débat aura au moins un « facilitateur », chargé de concevoir une arborescence lisible où viendront s’insérer les différents arguments.
On posera un problème politique ou philosophique majeur, ou une question technique, formulé(e) de façon à définir un nombre limité de 2 à 5 réponses possibles.
Remarquons que même des sujets complexes suscitent un nombre assez restreint de réponses. Par exemple la question métaphysique : « Y a-t-il une intention derrière l’univers ? » Réponses possibles : « il y a une intention » (position du théisme), « il n’y en a pas » (position de l’athéisme), « la question est indécidable » (position de l’agnosticisme), « le sens du terme intention doit être clarifié (ou la question est mal posée, position de la philosophie du langage) ».
Avec ces quelques réponses, il me semble qu’on a fait le tour des options possibles, qui devront être discutées. Chacune de ces réponses suscitera une arborescence distincte. Le concepteur du débat aura défini une première arborescence, mais celle-ci sera assez souple pour se ramifier en fonction des remarques qui seront présentées par les internautes.
L’arborescence se présentera de la façon suivante :
Exemple pour un débat politique : « La Turquie doit-elle entrer dans l’Union Européenne ?
En amont, chaque débat s’accompagnera d’une présentation générale, comportant des données de bases (définitions de termes utiles, rappel historique sur les rapports de l’UE et de la Turquie, statistiques à connaître, données basiques en géographie, liens vers des sites de références sur la Turquie).
Puis : 1ère page (correspondant au premier niveau de profondeur) : liste des grandes réponses possibles à la question ou au problème posé.
« Il faut intégrer la Turquie dans l’UE »
« Il ne faut pas l’intégrer. »
« Il faut créer une intégration européenne à plusieurs vitesses. »
2ème page :
Dans la page consacrée à chacune des grandes options précédentes, on trouvera une colonne d’arguments « pour » et une colonne d’arguments « contre ».
Il faut tenter d’être exhaustif et citer si possible tous les arguments proposés, y compris ceux que l’on peut considérer comme farfelus ou sophistiques. L’objectif est de proposer un inventaire des arguments.
Pour accéder à un argument particulier, l’internaute clique sur une réponse possible, il ouvre une nouvelle page.
3ème page (3ème niveau de profondeur) : L’internaute peut cliquer sur chacun des arguments, qui sera développé à part. A la fin de chaque argument, il pourra ajouter ses propres réflexions dans un Forum attaché. Ainsi, chaque argument sera abordé, pour être réfuté, amendé, complété etc., par les internautes eux-mêmes.
Exemple de chemin : Débat "La Turquie doit-elle entrer dans l’UE ?" Puis on clique sur l’option "La Turquie doit entrer dans l’UE." Liste des arguments « pour l’entrée de la Turquie dans l’UE. »
Argument : « La Turquie est un pays laïque. »
A ce niveau, ce sont les internautes qui enrichissent l’arborescence par leurs posts (qui peuvent être des liens vers différents articles, sites etc., ou des critiques de l’argument etc.).
Il y a donc associé à chaque argument une discussion, plus ou moins touffue, centrée sur cet argument. C’est au modérateur, périodiquement, d’utiliser les interventions des internautes pour faire des « points d’étapes ».
Par exemple « l’argument selon lequel la Turquie est laïque a été contestée par telle objection (lien vers l’objection) liée à telles données (lien vers un article, des données etc.). »
Quand le débat autour d’un argument atteint un seuil critique (par exemple qu’il y a seulement des « redites », et pas de nouveaux éléments apportés), le facilitateur propose une sorte de bilan général sur un argument.
« Tel argument rencontre telles objections majeures (listées avec un lien vers leur développement), et tels appuis (listés avec un lien vers une page qui les développe).
– Il est (valable / obsolescent / contestable / indécidable ) ou bien
– il demande telle ou telle expérience pour être validé / invalidé. »
Ici une conclusion provisoire peut-être avancée à propos de l’argument, et remontée dans l’arborescence à un niveau plus élevé.
Evidemment, à chacun des niveaux, un internaute pourra proposer d’ajouter quelque chose qui manque : une option, un argument non évoqué, une objection, un document.
Les contributions anciennes resteront toujours accessibles aux visiteurs, même si elles ne sont pas intégrées à l’arborescence, elles seront consultables (ainsi, chaque internaute pourra juger lui-même si une contribution, un argument, a été rejeté de façon arbitraire ou non).
Néanmoins, si cet espace est ouvert à tous, il risque d’être envahi par quantité d’interventions touffues, obscures ou franchement délirantes. Ici intervient le facilitateur, dont le rôle consiste à filtrer et à classer les interventions en : « nouvel argument », « redite (supprimé) », etc.
Cette liste des arguments n’est qu’un préalable nécessaire mais non-suffisant. A ma connaissance, il y a peu de sites qui présentent de façon lisible et allégée les différents arguments autour d’une question précise : soit on à affaire à un grand nombre de documents, parfois contradictoires, mais très longs à lire et dont les idées-clés ne sont pas résumées ni classées.
Soit on se trouve devant des sites qui présentent tous les arguments allant… dans un même sens ! Cela a été le cas lors du Référendum sur la Constitution européenne, où partisans du « Oui » et du « Non » mettaient en ligne des sites intéressants, mais souvent univoques.
Ainsi, le simple « catalogue » lisible d’arguments constituerait déjà un certain progrès pour l’utilisation du net. Celui-ci ne peut devenir un outil du débat tant que l’information n’y est pas rendue plus lisible, organisée, résumée. Néanmoins il faudra aller plus loin. Les arguments seront décortiqués suivant des méthodes dialogiques analogues à celle élaborée par Gilbert Dispaux (ou avec d’autres grilles, par exemple celle de l’Ecole d’Amsterdam de Grootendorst et Van Eemeren).
Ainsi chaque proposition sera caractérisée comme « jugement d’observateur » (fait, donnée, témoignage…), « jugement d’évaluateur », ou « jugement de prescripteur ». Suivant sa nature, elle deviendra l’objet d’une procédure de test.
On l’a vu, à la fin d’un certain temps et d’un nombre suffisant de contributions d’internautes, on pourra établir ensuite une sorte de bilan autour chaque argument. Il y a en tout et pour tout quatre possibilités : « Argument invalidé » - « Argument valide » - « argument indécidable » - « Nécessité de chercher des informations ou expériences supplémentaires » Ces différents bilans des arguments proposés seront regroupés au sein d’une page de synthèse, permettant de conclure à l’état général du débat en cours.
Pour terminer, supposons qu’à la suite d’un débat, un point de vue (option politique, philosophique, une opinion etc.) ait été démoli, il pourra être à nouveau débattu, si des arguments inédits sont apportés. En réalité le débat lui-même n’est jamais clôturé, même si des "conclusions provisoires" sont apportées et le débat sur le site fermé. Quiconque doit pouvoir comprendre pourquoi tel point de vue est considéré comme "vrai" ou "faux", et pour cette raison quiconque a le droit de revoir l’argumentation déployée. Plus généralement, sur toute question, il n’y a pas de vérité "établie" dogmatiquement, mais des chemins que chacun pourra parcourir à nouveau.
Ainsi, d’une liste statique d’arguments se faisant face, on passera à une dynamique des idées… avec, évidemment, des "conclusions" provisoires. Une ébauche est consultable sur www.hyperdebat.net.
Ce travail peut rester longtemps bénévole. Il requiert toutefois la participation d’une petite équipe motivée, comportant des philosophes et spécialistes des sciences humaines, afin de concevoir et de lancer des débats, et aussi des informaticiens pour perfectionner l’outil aux besoins de clarté et d’interactivités des discussions. Idéalement, tout chercheur et même tout individu qui s’interroge sur un problème de fond pourra s’adresser avec fruit à ce site de débat méthodique.
Rappelons ici que le débat méthodique s’inscrit dans une démarche plus générale de démocratie délibérative. Il s’agit de permettre aux citoyens de considérer et d’évaluer les différentes options, en vue d’une décision effective par réferendum, vote etc.
NOTE à propos du site hyperdébat.net
Ce site expérimental a présenté plusieurs débats méthodiques, certains ébauchés, d’autres menés plus loin. Aujourd’hui, je m’inscris dans une nouvelle démarche, celle de Wikidébat, en espérant qu’elle se développera.
Deux vidéos :
– la 1ère répond aux objections philosophiques contre l’idée du débat méthodique :
https://www.youtube.com/watch?v=kvVfeB0AK0o
– la 2nde propose un exemple de débat méthodique en prenant pour thème les questions métaphysiques :